Il est un jardin comme il en existe peu en France. Blotti au creux de l’Aubrac, dans un écrin naturel aux couleurs de Sienne, il domine le lac de Soulages, près de Laguiole. Ici se côtoient le cresson de Para, l’épazote, le tomatillo du Mexique, l’hémérocalle, le shiso et autres rau-ram. Ce sont des espèces d’ici et d’ailleurs collectionnées par la famille Bras pour leurs spécificités organoleptiques étonnantes. Michel Bras l’a créé en même temps que son restaurant « Le Suquet », aujourd’hui de renommée mondiale. Il l’entretient et le cultive, permettant à Sébastien, son fils désormais aux manettes du restaurant, de créer en permanence une cuisine aux saveurs incomparables et surprenantes. Leur histoire a donné naissance à un livre « Bras le goût du jardin » aux Editions Plume de carotte.
Frédéric Lisak, directeur des Editions Plume de carottes, a su trouver en la personne de Cindy Chapelle une plume percutante pour peindre la famille Bras. Michel Bras s’est confié sans réserve et a livré ses secrets. Il raconte comment il a découvert les plantes sauvages et comment il a progressivement su les intégrer dans sa cuisine au point d’être couronné un temps « trois étoiles » par le Guide Michelin. « Bras, le goût du jardin » est un pavé de plus de 300 pages grand format qui présente les compositions photographiques de Yannick Fourié, magistralement mises en page par Guy de Guglielmi. L’ensemble est envoutant car on entre dans l’intimité des espèces végétales, avec leurs visions gros plan ainsi que leurs détails botaniques et culinaires et dont chacun d’entre nous pourra tirer profit.
En 1994, Sébastien Bras fait ses débuts en cuisine aux côtés de Michel, son père. Il reprend les rênes de la maison en 2009. Dans un bel article pour le magazine Atabula (voir lien ci-dessous), il donne sa vision de la restauration et livre des souvenirs de son apprentissage, hors des fourneaux familiaux. Il est intéressant d’en prendre connaissance avant de se plonger dans le livre et la narration de tous leurs voyages de découvertes sur les plantes et la cuisine qu’ils font en famille, pendant les périodes de fermeture du restaurant. Rien n’est plus inspirant que d’aller sur place, pensent-ils avec raison, pour saisir les atmosphères locales et les secrets culinaires.
L’ouvrage est partagé selon le cycle des saisons afin de présenter les récoltes qu’on peut faire au printemps, en été, en automne et en hiver. Chaque saison offre ensuite des idées d’associations culinaires. Les Bras nomment ces réflexions des « intentions » et il y en a plusieurs par saison. C’est l’occasion d’apprendre des mots locaux tel le gargouillou, fait d’orpin, oseille sanguine, ail aux ours, armoise, réglisse, menthe marocaine, etc. Chaque plante évoquée est photographiée de manière à montrer ses moindres détails. Telle la double-page ci-dessus consacrée aux ails (on dit aussi les aulx). Père et fils donnent leurs sentiments sur le végétal présenté et une petite fiche d’identité mentionne les parties comestibles.
L’intention de printemps appelé « De chez Florent » réunit des asperges vertes de l’Hérault blanchies, du jus vert perlé au rau-ram, de la crème acidulée & des oeufs de truite, kasha à briser et feuilles de moutarde. Les légumes sont de provenances différentes : des marchés locaux, du potager du restaurant et des récoltes dans la nature. Pour la moutarde, par exemple, les Bras signalent qu’ils préfèrent les feuilles de la moutarde sauvage collectées dans les environs.
Au chapitre des productions estivales, les propositions sont nombreuses et variées, l’été étant la période de l’abondance dans les fleurs, les fruits et les légumes. « Le jardin foisonne et la récolte va bon train, déclare la famille Bras. Celtuces, haricots, courges, mangetouts… s’en donnent à coeur joie. » La page ci-dessus consacrée à la bourrache est un exemple de présentation. Cela commence par un résumé botanique de l’espèce Borago officinalis. Puis détaille l’essentiel de son cycle végétatif, son origine et enfin la ou les parties comestibles. Dans le cas de la bourrache, rien n’est plus simple car tout est bon : fleurs et feuilles.
Avec les sauges, c’est l’abondance à l’état pur : plus de 900 espèces originaires des zones tempérées du globe. Elles peuvent être cultivées en annuelles, bisannuelles ou vivaces. Certaines dont la souche est ligneuse sont considérées comme arbustives. Leurs feuilles ont en général un goût puissant, légèrement amer et camphré. Les fleurs ont un parfum plus subtil pour les Bras. Au Moyen Age, beaucoup de sauges étaient considérées comme une panacée en raison de leurs vertus médicinales.
Quasiment tous les matins, Michel Bras est un cueilleur parmi les cueilleurs. C’est un moment qu’il ne souhaite manquer pour rien au monde, ici dans les hémérocalles. L’été, l’équipe se compose en moyenne de 8 à 10 cuisiniers-cueilleurs. Si la cueillette est trop tardive, la récolte se fane tout de suite. En plein soleil, le temps de remplir une barquette de feuilles de chou, les premières récoltées ont déjà perdu de leur teneur. Cueillir lorsqu’il fait frais est un prérequis indispensable à une belle moisson. Mais en au printemps et en automne, tôt le matin, le jardin est parfois gelé. Il faut alors patienter.
A voir cette collection de barquettes remplies des bonnes herbes et des belles fleurs du jardin venant s’ajouter à celles qu’on a trouvé par la glane en des lieux connus de l’équipe, on peut imaginer les saveurs que les mains expérimentées du Suquet (nom du restaurant Bras) vont savoir en extraire. Les liens qui suivent en fin d’article doivent permettre aux amoureux des plantes et de la table d’imaginer une suite heureuse.
https://www.plumedecarotte.com/product-page/bras-le-go%C3%BBt-du-jardin
49 euros – avril 2019
https://fr.calameo.com/read/004517972e7e8549f2219
https://www.atabula.com/2015/08/29/chef-bras-sebastien-laguiole/