Heureuse découverte celle de Stefan Schomann, écrivain et journaliste, auteur de plusieurs livres dont deux consacrés au cheval. C’est aussi un conteur qui vit entre Berlin et Pékin. Muni de tant de qualités, il ne faut pas s’étonner s’il a reçu pour sa dernière production « Autour du monde à cheval » le prix Eiserner Gustav pour la culture du voyage à cheval à l’occasion d’une récente édition du Concours hippique international officiel d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne, ouvrage publié à l’origine en Autriche par Picus Verlag. Le livre présenté ici est l’édition française par Delachaux et Niestlé, Paris, 2021, sans photo. Les photos publiées ci-dessous m’ont été prêtées par Stefan Schomann, ravi de ma proposition d’offrir une ambiance colorée à ses nombreuses relations de voyage dont voici quelques extraits.
Le Rajasthan secret, page 35. Un proverbe déjà ancien du Rajasthan recommande « un chameau pour l’amour, un éléphant pour la chance et un cheval pour la victoire ». Il n’est pas nécessaire d’expliquer à un hindou que les éléphants portent chance car Ganesh, le dieu à tête d’éléphant, est invoqué chaque fois qu’il faut prendre une décision. Pour le cheval, de préférence sa race locale, le Marwari, nommé d’après l’état du Marwar, autrefois gouverné par le maharaja de Jodhpur, c’est l’animal de plus vénéré et le plus coté des trois. Un traité ancien, le Shalihotra, développe un système de classification dont une grande partie est basée sur des superstitions. Un cheval de couleur unie, par exemple, était censé porter malheur à son propriétaire. Au contraire, un cheval avec une robe blanche et quatre pieds blancs étaient signe de bonheur. Deux yeux bleus apportaient aussi chance, alors qu’un seul bleu portait malchance.
Dans les montagnes des Balkans, page 83. Sur les sentiers caravaniers à travers les Alpes albanaises, étape chez les Rupa qui tiennent une modeste maison et reçoivent des hôtes. Comme dans la plupart des maisons, les escaliers n’ont pas de rampe. L’inachevé dans sa forme la plus parfaite est considéré comme une spécialité locale. « If it is perfect, it is not Albania » : C’est avec ce slogan qu’une agence belge de voyages a fait campagne un jour pour sa destination phare. Les touristes occidentaux seraient déçus s’ils ne se retrouvaient pas avec des pommeaux de douche qui gouttent et des décorations murales de travers. En revanche, la nature, le meilleur atout de l’Albanie, semble presque parfaite. Le pays compte 14 parcs nationaux, alors que la Suisse près du double en surface n’en n’a qu’un seul. La flore de ce pays est la plus riche d’Europe. Elle abrite les plus importantes populations d’ours et de loups d’Europe. Et quelques-uns des derniers lynx des Balkans parcourent encore les forêts.
Toute l’ardeur de la fantasia, le fier héritage des Berbères, page 69. Les cavaliers foncent à travers champs, suivis par un nuage de poussière tourbillonnant. Ils se dressent sur leur selle, agitent leur fusil avec frénésie et encouragent les chevaux d’une claque sur l’arrière-train. A l’autre bout du terrain, ils tirent une salve coordonnée et passent du galop au pas d’un seul coup. La troupe s’entraîne pour une fantasia, un spectacle équestre guerrier qui est organisé dans les régions de l’Atlas à l’occasion des mariages et des fêtes de village. Bien qu’il soit sur le point d’avoir dix-huit ans, Mohammed n’est pas encore un membre à part entière de l’équipe, car il n’a pour le moment pas de cheval. Du moins, pas un vrai cheval. Jusqu’à présent, il s’est contenté du canasson maigre qu’il attelle habituellement à sa charrue. Quand son père et les autres fermiers montent de nobles arabes-barbes, une race classiquement utilisée dans les fantasias issue du croisement entre l’arabe, au pas léger, et le barbe, le robuste cheval des Berbères.
Les derniers chevaux sauvages, page 207. Il y a environ 140 ans, Nikolaï Mikhaïlovitch Prjevalski (orthographié Przewalski en polonais), un explorateur et officier russe d’origine polonaise et cosaque, a découvert les derniers chevaux sauvages au monde près du poste-frontière russo-chinois de Droujba. On les a nommés « chevaux de Przewalski » en son honneur même si on les désigne aussi parfois par leur nom mongol « takh ». Il s’agissait de chevaux trapus, très puissants et endurants. Ils étaient caractérisés par une robe isabelle, intermédiaire entre le gris-jaune et le brun doré, une crinière hérissée et une raie de mulet le long de la colonne vertébrale. Bien sûr, ils ont toujours été des animaux familiers pour les peuples autochtones, comme en témoignent les peintures rupestres dans l’Atlas et le Désert de Gobi.
Traversez les Rocheuses à cheval, sauvez votre âme, page 193. Quelqu’un m’avait parlé de Bill Beck qui proposait une randonnée équestre dans le Parc naturel Bob Marshall Wilderness. Je me suis renseigné auprès d’amis qui vivaient dans le Montana. Même s’ils en avaient entendu parler, ils n’y étaient encore jamais allés. Et pour cause : cette zone protégée ne peut être parcourue qu’à pied ou, justement, à cheval. Pas de voiture, ni de motoneiges, ni de tronçonneuses pour rompre le silence des forêts. Aucune remontée mécanique pour profaner les sommets, aucune tour de télécommunication pour gâcher les vallées. Les rivières descendent sans entraves. Cette réserve est contiguë au sud du Parc national de Glacier. A eux deux, ils couvrent un territoire de la taille de la Corse. L’étape la plus spectaculaire, c’est la traversée de Trilobite Range. Nommée d’après les fossiles qu’on y a trouvés, cette chaîne montagneuse semble effectivement dater d’un autre âge. Telles les dents de la mâchoire d’un dinosaure, les crêtes reposent sur un massif calcaire. Et nous sommes censés grimper là-haut avec animaux et tout le paquetage. Nous sommes tétanisés face à une telle monumentalité. Nous, Européens saturés d’histoire ne connaissant plus que les paysages cultivés, avons du mal à croire qu’une telle virginité puisse exister. Imaginez le canton du Valais et le Cervin, le glacier du Rhône et le Lac Léman sans aucune agglomération, où aucun bétail n’a jamais brouté. Du puma à la chèvre des Montagnes Rocheuses et de l’élan au grizzly, c’est la faune précolombienne au complet qui sillonne cette contrée sauvage année après année, comme si rien ne s’était passé.
La Fátima des chevaux, page 123. Photos ci-dessus & ci-dessous. La petite ville rurale de Golegã, hérissée de nids de cigognes, se situe dans la vallée du Tage, à environ 80 km au nord-est de Lisbonne. Elle peut prétendre à un titre important, celui de la capitale des chevaux du Portugal. Plusieurs éleveurs de renom vivent dans les environs, où se trouvent aussi quelques grands haras. L’espace culturel Equuspolis, qui propose entre autres des films sur les chevaux, constitue une autre attraction. Mais surtout c’est à Golegã que se tient tous les ans, en novembre, la Feira nacional do cavalo. Cette foire équestre de la Saint-Martin, à moitié foraine, à moitié concours d’élevage, rassemble les amateurs du Lusitanien (race locale dite le cheval des rois) du Portugal, d’Espagne, d’Allemagne, d’Angleterre et du Brésil. Golegã est pour les amoureux des chevaux ce qu’est Fátima pour les catholiques.
Le Rajasthan secret, ci-dessous, page 35. Se reporter au texte de la première photo.
https://www.delachauxetniestle.com/livre/autour-du-monde-cheval Parution septembre 2021 20 euros