Les amateurs de jardins vont se réjouir de la traduction en français d’un livre publié en Angleterre il y a une quinzaine d’années. C’est « FLORA une histoire illustrée des fleurs de jardin ». On trouve dans Flora un panorama très varié des principales plantes à fleurs de nos jardins anciens et récents, illustré de superbes gravures et agrémenté d’un texte à la fois précis, concis et parfaitement documenté écrit par Brent Elliott. Rien d’étonnant sur ce dernier point puisque Brent a passé la plus grande partie de sa vie professionnelle à la RHS, la société royale d’horticulture, en qualité d’archiviste. Ce qui n’est pas rien !
La RHS possède des archives parmi les plus complètes constituées de livres rares et les meilleurs sur l’histoire des jardins, des gens qui les ont faits et des végétaux qui les remplissent. Qu’ils soient français, anglais, japonais, italiens, les jardins sont des oeuvres d’art et les plantes leurs matériaux. Flora est magnifiquement illustré de planches botaniques, de peintures et de gravures d’une grande finesse. Il raconte l’incroyable épopée au fil des siècles des plantes de nos jardins. Cela va des roses de Chine aux géraniums d’Afrique du Sud, en passant par les hibiscus du Pacifique et les orchidées d’Amérique. Le texte est vif et passionnant. Il décrit les aventures des intrépides botanistes et chasseurs de plantes qui, alors que les Européens exploraient le monde, récoltaient des graines et des spécimens de milliers de fleurs qu’ils trouvaient au cours de leurs voyages. Ces précieux échantillons ont alors permis aux pépiniéristes et amateurs éclairés de créer les fleurs de jardin que nous connaissons aujourd’hui. Certaines ont connu quelques années de gloire avant de tomber dans l’oubli, tandis que d’autres se sont installées durablement. L’horticulture et l’art des jardins connaissent tout naturellement des modes et des tendances !
Voici quelques exemples relevés au fil des pages de ce grand livre élégant. Ils vont faire frissonner d’aise les jardiniers les plus blasés et les techniciens les plus érudits car Brent Elliott a su trouver dans sa documentation des précisions, des anecdotes et des faits historiques rarement cités et des reproductions d’illustrations exceptionnelles.
Pages 208/211, par exemple, fleurs énormes et gigantesques feuilles flottantes de Victoria amazonica. Qui a visité des serres chaudes ou des jardins exotiques tropicaux reconnaitra ce qu’on peut prendre pour un nénuphar gigantesque. Brent explique : « En 1838, Robert Schomburgk rapporta le plus grand nénuphar jamais observé et John Lindley lui attribua le nom de Victoria regia en l’honneur de la reine. Mais il avait été déjà décrit et son nom correct est maintenant Victoria amazonica. En 1849, les jardins botaniques royaux de Kew et le jardin du duc de Devonshire à Chatsworth rivalisèrent pour le faire fleurir. Chatsworth gagna et le jardinier-chef, Joseph Paxton, construisit une serre révolutionnaire pour l’héberger (édifice qui lui servit de modèle pour son Crystal Palace quelques années plus tard). Cette année-là, The Illustrated London News daté du 17 novembre montrait une illustration de la fille de Paxton, Annie, debout sur une feuille flottante pour preuve de sa résistance. Et par la suite, ceux qui cultivaient des victorias se sentirent obligés de reproduire le fait. »
Pages 110/117, découverte des tulipes. Vers 1550, Busbecq, l’ambassadeur du Saint Empire romain à Constantinople, découvrit des tulipes dans les jardins ottomans et en envoya des spécimens à Vienne. On commença à en voir dans les jardins européens dans les années 1560, où elles étaient admirées pour leur faculté à reproduire des motifs colorés – résultat on le sait maintenant d’une infection virale. En peu de temps, les tulipes se trouvèrent marchandées pour des sommes folles. Les négociants acquéraient les bulbes avant leur floraison et ils espéraient l’apparition d’un nouveau motif insolite qui leur permettrait, après avoir multiplié les bulbes de manière végétative, de les vendre à très bon prix. En 1637, l’ajustement brutal du marché faillit ruiner la Hollande. La recherche se poursuivit toutefois. La tulipe « duc de Thol orange » est une rescapée de l’époque puisqu’on la distribue encore de nos jours.
Pages 146/147, merveilleux dessin de l’arum d’Ethiopie comme on le nomme maintenant. Découvert à la fin du 17ème siècle, il porte le nom de calla, puis en latin Zantedeschia aethiopica. L’allure de sa fleur est si différente de ce qui est alors connu que la plante devient un chouchou. Les nombreuses serres de l’époque et les jardins d’hiver la reçoivent. Grâce a résistance au froid constatée, c’est devenu une plante de jardin pour milieu humide.
Pages 200/201, saga de la fleur de la passion qui tapisse murs et clôtures sur lesquelles ses vrilles peuvent s’agripper. En 1577, l’ouvrage de Nicolas Monardes sur les découvertes botaniques en Amérique faisait remarquer que la structure des fleurs de passiflores pouvait être comparée à la passion du Christ. Le style évoquait la croix, les stigmates les trois clous, les filaments de la corolle la couronne d’épines, les dix pétales et sépales, les dix disciples présents à la crucifixion . Des représentations exagérées de la plante éveillèrent l’intérêt collectif. Mais il fallut attendre 1620 pour voir la première fleur en Europe, dans les jardins de la Villa Farnèse à Rome.
Ainsi sur plus de 300 pages, grand format et papier glacé de bonne tenue, se déroule une merveilleuse histoire qui tient en haleine. Pour clore cet ouvrage de référence, Brent Elliott en réserve trois pour expliquer comment on nomme les plantes et pourquoi il y a de temps à autre des modifications dans les appellations. Ce qui agace les jardiniers qui ne sont plus jamais sûrs de connaître « le nom du moment » est exigé par les botanistes à l’occasion de leurs congrès internationaux. Ce qui peut paraitre fastidieux permet toutefois aux spécialistes du monde entier de parler la même langue et d’avoir les mêmes références dans leurs conversations et leurs échanges commerciaux.
Illustrations fournies par l’éditeur
septembre 2016 45 euros ISBN : 978-2-603-02186-6