Claude Monet a vécu de 1883 à 1926 dans sa maison de Giverny. Passionné par le jardinage autant que par les couleurs, il a conçu son jardin de fleurs et son jardin d’eau comme de véritables oeuvres picturales. Les visiteurs ressentent toujours l’atmosphère qui régnait chez le maître de l’impressionnisme et s’émerveillent devant les compositions fleuries du jardin, comme devant les nymphéas de l’étang, qui ont été ses sources d’inspiration les plus fécondes. Après plus de 40 ans d’ouverture au public (juin1980), le jardin de Claude Monet attire chaque année quelques 500.000 touristes et amateurs de jardin. La saison 2021 débutera le 19 mai et présentera à cette occasion un livre de souvenirs mis en forme par Gilbert Vahé, jardinier chef qui a suivi la restauration des lieux depuis 1976. Un document tout à fait exceptionnel !
Disparu le 3 février 1966, Michel Monet, fils du peintre, lègue la propriété de Giverny et les collections qu’elle recèle à l’Académie des Beaux Arts. Conservateur du musée Marmottan, Jacques Carlu pare au plus pressé et ordonne l’exécution des premiers travaux d’urgence, dont la réfection de la toiture. Mais les fonds manquent. Irrémédiablement, la vétusté grignote les bâtiments tandis que les jardins s’étiolent dans une profonde désolation. Tout bascule en 1974 lorsque l’Académie des Beaux Arts confie à Gérald Van der Kemp, qui vient de restaurer le château de Versailles, le sauvetage de Giverny. Grâce aux capitaux collectés auprès de mécènes américains, mais aussi aux budgets alloués par l’Académie des Beaux-Arts et le Conseil général de l’Eure, des travaux titanesques sont entrepris dès 1976. Et c’est Gilbert Vahé, un jeune jardinier diplômé de l’Ecole d’Horticulture de Versailles, qui accompagne «VDK» dans cette renaissance.
Les auteurs du livre ont retrouvé l’histoire de la toile « Le Jardin de l’artiste à Giverny », 1900, exposée au musée d’Orsay. D’un voyage en Italie, à Bordighera en 1884, il découvre dans les jardins Moreno une scène qui le transporte. Voici ce qu’il en écrit poétiquement dans un courrier « les orangers et les citronniers et, en place de l’herbe, des violettes de Parme. » Georges Truffaut, un célèbre pépiniériste de l’époque et visiteur régulier du peintre, remarque que Monet utilise une autre plante à fleurs bleues assez rare, le Plumbago larpentae, libérant en tapis d’immenses masses de fleurs évoluant dans différentes totalités de bleu. Les images qui suivent sont extraites du livre dont on feuillette les pages comme un jeu de piste.
Les jardins ont accompagné Claude Monet tout au long de sa vie. Dans son oeuvre de jeunesse, ils sont souvent une partie du paysage. Ils deviendront une alternative à celui-ci, un univers certes restreint, mais où les jeux de lumière n’ont rien à envier à ceux des sites les plus grandioses. Georges Clémenceau, complice de cette dévorante passion horticole, voyait dans le jardin de Giverny le prolongement de son atelier. Avant Giverny, il y avait eu Vétheuil dont la toile ci-dessus témoigne : Le jardin de l’artiste à Vétheuil, 1881, The National Gallery of Art, Washington. Dans ce décor, où les silhouettes de Camille, Jean et Michel disparaissent presque sous les immenses tournesols, apparaissent les fameux pots bleus rapportés de Hollande qui suivront Monet à Giverny.
Lorsque Gerald Van der Kemp accepte la mission de ressusciter l’univers de Claude Monet à Giverny, en 1974, il lui faut encore trouver le partenaire idéal qui saura diriger les jardiniers, tout à la fois technicien du jardin mais aussi assez poète pour comprendre la sensibilité du peintre qui a fait ici l’atelier de l’impressionnisme. Hasard ou nécessité, c’est de Versailles que viendra la chance comme l’expliquent en détail Valérie Bougault et Nicole Boschung qui ont trouvé les mots du livre. Gilbert Vahé est un ancien chef d’atelier de l’Ecole nationale d’horticulture, rattachée au Potager du roi à Versailles. On découvre par le détail les mots de VDK qui ont su convaincre le jeune homme de s’amarrer au projet.
Remettre en état le jardin de Claude Monet et lui redonner sa splendeur d’antan était une bonne chose. Mais cela réclamait des fonds importants que ni la commune, ni le département ne pouvaient assumer seuls. D’autres viendraient de différents ministères. VDK savait où adresser ses demandes. Gilbert Vahé, aujourd’hui encore, ressent une admiration sans bornes pour son savoir-faire. Bien avant tout le monde, il n’a pas hésité à mêler art et marketing en mettant la peinture de Monet sur le devant de la scène. Les échanges de courrier avec son complice Daniel Wildenstein, son antenne new-yorkaise, ne laissent place à aucune ambiguïté. Il s’agissait d’encourager Philippe de Montebello, sur le point d’être nommé directeur du Metropolitan Museum, à mettre en place un événement Monet pour inaugurer ses nouvelles fonctions. Voir affiche ci-dessus.
Photo récente de l’allée fleurie du Clos normand. Les clématites montana retombant des treilles en cascades semblent être une reproduction à l’identique de celles décrites par Georges Truffaut, fournisseur attitré de Claude Monet, lors d’une visite effectuée à Giverny au printemps 1924 comme « des guirlandes aériennes faisant l’effet de draperies de dentelles ». En plus d’être un pépiniériste célébré de l’époque, il relate ses découvertes dans la revue Jardinage dont il est le fondateur.
Autre photo récente de la maison de la Fondation Claude Monet. A partir de la mi-mai, les Pelargonium zonale ‘Avenida’ font leur entrée dans les massifs circulaires devant la maison. Comme au temps de Monet, à l’origine de cette association, les pélargoniums roses et rouges cohabitent. Gilbert Vahé ajoute : « Nous avons la preuve que Monet mélangeait bien le rouge et le rose au mépris des conventions de l’époque. Ce faisant, il crée une mode et nous ne sommes plus choqués par cet ensemble. Jusqu’à présent, nous mettions moitié rouge, moitié rose. La tendance de nos jours serait de planter deux pélargoniums roses pour un rouge. Et essayer que la hauteur des rouges ne dépassent pas celle des roses. Une question d’équilibre qui se négocie chaque année !
Ci-dessus, une photo de René Delange « Claude Monet », parue dans l’Illustration du 15 janvier 1927, pages 54 & 55. Cet autochrome de 1921 est probablement la photographie la plus connue de Giverny : Monet, chapeau sur la tête et cigarette à la main, se tient entre deux massifs situés à l’ouest, en haut de la grande pelouse, dont l’un est composé du fameux mélange de pélargoniums roses et rouges.
Ci-dessous : Le pont japonais. Une photo d’avril 2011. Sous l’arche de la glycine en fleur, mariage de l’ancienne glycine plantée par Monet et d’un pied plus récent, se devinent les ramures rose violine d’un arbre de Judée et d’un Cornus florida ‘Rubra’.
http://www.gourcuff-gradenigo.com/paru.html 39 euros
https://fondation-monet.com/actualites/gilbert-vahe-ce-livre-est-un-travail-de-memoire/