LE JARDIN PLUME, UNE ODE AU JARDIN-NATURE

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Vingt ans déjà ! vingt ans et même un peu plus que Sylvie et Patrick Quibel se sont installés dans la campagne d’Auzouville-sur-Ry, près de Rouen. Ils ont commencé par le métier de pépiniériste ou, pour être exact, ils ont poursuivi ce même métier qu’ils menaient pas loin de là, à La-Vieux-Rue, toujours dans la verte ruralité normande. Car la place manquant, il avait fallu chercher une terre plus vaste pour développer l’entreprise. Alors, quand se présente la parcelle qu’ils vont acquérir, le miracle se produit ! On le sait maintenant, les Quibel sont internationalement connus pour la pépinière de plantes vivaces qu’ils ont mis en place mais surtout pour le jardin qu’ils ont imaginé et façonné au fil du temps et qu’ils ont nommé « Le Jardin Plume ». Rares sont les entrepreneurs dans le monde des jardins qui ont su nommer leur projet avec tant de détermination et d’à-propos. C’est cette histoire qu’ils racontent dans leur livre qu’on déroule comme un roman illustré avec brio par les photos de leurs amis Joëlle Meyer et Gilles Le Scanff : « Le Jardin Plume, comme un jeu avec la nature ».

Beaucoup de photos, des pages entières, doubles-pages à l’italienne reflétant le Jardin Plume, d’allure légère dans le spectacle que donne le vent quand il souffle sur les milliers de tiges longues et fines. Les graminées sont majoritaires dans les massifs, courtes et touffues en sortant de terre chaque printemps pour évoluer durant l’été et l’automne vers des positions aériennes, impalpables comme la plume. Abandonnant leurs outils par moment, ils ont pris une autre forme de plume pour raconter leurs souvenirs et les rencontres salutaires de jardiniers qui les ont inspirés, leur ont ouverts les yeux, tracés une voie nouvelle dans l’Art des Jardins. Certes, l’utilisation des graminées n’est pas nouvelle. Trente ans déjà que les Miscanthus des Etablissements Lepage d’Angers sont doucement entrés chez quelques passionnés de jardins modernes. Mais jamais au niveau où les Quibel les ont boostés dans leur oeuvre si singulière.

Alors la mémoire de leur vécu laisse place à des mots au fil des pages.
« A notre arrivée, les haies étaient taillées à hauteur d’homme. Deux grands arbres dominaient un verger anarchique et peu entretenu : un grand noyer fatigué proche de la maison, courbé par les vents d’ouest, et un grand poirier. Ce premier cédera sous une rafale aussi violente que soudaine en 1998 et le second sous l’ouragan de 1999.
« La maison au crépi grisâtre et l’étable à mouton attenante, une citerne recueillant les eaux de pluie des gouttières, deux bâtiments de ferme complétaient l’inventaire… Le lieu avait beaucoup de charme cependant. Le regard portait loin sans encombres vers le sud jusqu’à la forêt.
« En 1997, l’année suivant notre arrivée, il faut vite gérer la prairie/verger une fois les moutons partis avec l’ancien propriétaire. Un cordeau tendu du centre de la maison au fond du terrain est notre seul repère. Mais cette ligne virtuelle qui traverse aujourd’hui le bassin carré en son axe central est toujours le point d’équilibre du tracé du jardin. Les croisés de chemins et le contraste entre les zones tondues et l’herbe plus haute ont donné naissance à une grille simple ».

La photo de couverture, qu’on retrouve élargie pages 10 & 11, est une preuve explicite de ce qu’on peut faire sans plan trop précis à condition d’avoir une nature courageuse et une âme de peintre, partagée avec celle d’un poète. Sa légende l’explique : « Le mouvement du vent dans les graminées nous a inspiré ces vagues de buis taillé. Le dessin s’est fait progressivement à l’oeil sur une quinzaine d’années ». Assez vite, le bassin fait miroir aux arbres voisins et aussi aux nuages qui défilent à sa surface. Cette eau calme réjouit les photographes et les visiteurs qui découvrent alors que le Jardin Plume a plus que d’autres une philosophie ! Le lecteur attentif qui en fait le tour sur près de 200 pages va découvrir un monde inconnu de plantes rares ou peu souvent rencontrées en masse. A ce titre les Quibel ont fait oeuvre de pionniers en installant chez eux des effets vus dans quelques jardins lointains d’Angleterre et des Pays-Bas.

Au nombre des temps forts, il y a ces pelouses plantées de Camassia. Si à l’occasion il arrive à chacun de voir quelques dizaines de leurs hampes florales bleues dans les massifs, qui pourrait imaginer d’en planter des milliers, par vagues. Pages 118 & 119 le miracle se produit avec l’explication. Cette plante bulbeuse d’Amérique du Nord aime coloniser les prairies à l’humus frais ou humide semblables à celles qui les ont vues naître. Les camassias sont là et fleurissent en écho des pommiers au dessus d’eux couverts de fleurs au même moment. Effet garanti.

Une fois passées les grandes émotions des mises en pages du livre qu’on avale d’un trait, on s’attache plus à la lecture. Et défilent alors les noms de tous les intervenants spectaculaires par leurs gerbes mélangées de feuillages et de fleurs : Calamagrostis, Eragrostis, Oryzopsis, Deschampsia, Miscanthus et les fleurs puissantes, proprement dites, comme celles des Rudbeckia, Papaver, Epilobium, Aster, Thalictrum et Dahlia. On sort du livre rassasié et plein de courage avec l’envie de tenter soi-même l’aventure du jardin-nature.

Le Jardin Plume, mars 2017, 32 euros, www.editions-ulmer.fr

photos fournies par l’éditeur

Jardin d'été Jardin plume 76 France

Jardin d’été
Jardin plume 76 France