RAINER ULRICH L’HOMME QUI DANSE AVEC LES PAPILLONS

L’ordre des Lépidoptères, c’est à dire les papillons, était dans le passé divisé en deux sous-ordres : les Rhopalocères, dits papillons de jour, et les Hétérocères, papillons de nuit. Cette classification est encore utilisée aujourd’hui, bien que remise en cause, car elle est pratique et permet aux débutants lépidoptéristes d’avancer dans la connaissance sans trop de heurts. Pour ces derniers, Rainer Ulrich, expert allemand nourri par cinquante années de recherches approfondies, écrit des livres très sérieux en usant d’un vocabulaire dépouillé de complications inutiles. De deux qualités dont il fait preuve, la poésie fait part égale avec la science. Et c’est plaisir de le suivre dans les multiples livres qu’il a signés. Le plus récent traduit en français et publié en juin 2020 par Delachaux et Niestlé « Hétérocères diurnes » concerne les papillons de nuit à activité diurne.

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Peu de guides sur les papillons évoquent les espèces nocturnes. Celui-ci fait donc preuve de singularité car il en présente 339 que l’on peut observer pendant la journée ou au crépuscule. Il décrit leurs habitats et moeurs et donne des informations sur leur répartition géographique, leurs caractères distinctifs et leur activité. Pour permettre une identification précise, tous les papillons sont illustrés par des photos de terrain et des images à taille réelle rassemblées sur des planches d’identification, avec noms scientifiques et appellations vernaculaires. Ces dernières ont de quoi étonner le lecteur par la poésie qui s’en dégage, comme : Turquoise de la Sarcille, Sphinx gazé, Psyché lustrée, Petit Paon de nuit, Zigzag, Noctuelle à museau, Soyeuse, Ecaille roussette, Ensanglantée de l’Oseille, Géomètre à barreaux, Zygène commune, Etoilée, Hibernie défeuillante.

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Ce livre, c’est 320 pages de fiches techniques, agrémentées de photos et de dessins, très sérieuses et amplement documentées. Et puis, pour rompre la monotonie inhérente aux listes imposantes de ce type, la bonne idée ! Proposer à l’auteur de livrer une série d’anecdotes rédigées à la première personne. Elles révèlent la naissance d’une vocation et la progression dans celle-ci.

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Laissons parler Rainer Ulrich dans l’anecdote intitulée « la journée des surprises ».
« Mon amour pour la montagne s’est éveillé quand j’avais 22 ans, pendant mes études de biologie à Sarrebruck. En août 1977, nous entreprîmes avec notre professeur de zoologie une grande expédition de biologie dans les Alpes de Lechtal en Autriche. Pendant une semaine nous avons crapahuté à travers la montagne, atteignant quand même le sommet de Rote Wand à 2704 m d’altitude. Et nous avons découvert la richesse de la flore alpine et l’incroyable diversité des insectes. Jamais plus je n’ai vu et expérimenté autant de choses nouvelles intéressantes en si peu de temps. Ni autant appris. Car de retour à la maison, chacun devait étudier le groupe qu’il avait choisi, puis présenter son travail.

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« J’avais choisi les papillons, évidemment ! Parmi les prises des douze participants à l’excursion figurait aussi une série de papillons de nuit capturés pendant la journée. Des raretés telles que des psodos et le beau Ruban fauve, ainsi qu’une extraordinaire noctuelle qui ne vit qu’à haute altitude – et deviendra pour moi une véritable légende : la hochenwarthi, ou plusie du pissenlit. Nous avons observé cette petite noctuelle sur le Gehrengrat, à 2400 m d’altitude. C’est la raison pour laquelle ma femme et moi sommes allés arpenter la montagne près de Zermatt, dans le Valais, quarante ans plus tard, en juillet 2017. Après tant d’années, j’avais envie de revoir cette belle noctuelle.

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« Après avoir grimpé jusqu’au Stellisee, dans lequel se reflète si joliment le Cervin, nous faisons halte au restaurant d’alpage près de Grünsee, à 2300 m. De la terrasse, nous voyons la face nord du Gornergrat, où, neuf ans auparavant, nous avions pu observer les acrobaties aériennes de centaines de Damiers de l’Alchémille. C’est alors qu’un petit fossé dans la prairie humide en face attire mon attention. En repartant, j’explore le lit asséché du ruisseau. Après tout, la Fidonie à cinq raies est fréquente dans le coin – une espèce de géomètre nouvelle pour moi. Je pressens qu’ii il y a autre chose. Effectivement, après dix minutes environ, je détecte une petite noctuelle brune. Victoire ! elle a des ailes postérieures jaunes. C’est une plusie active le jour. Probablement Syngrapha ain, la Plusie du Mélèze. Ou alors, la tant attendue hochenwarthi ! »

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Ainsi va la vie d’un lépidoptériste et de celui-ci en particulier dont un journaliste du Saarbrücker Zeitung a dit « Rainer Ulrich adore les danseurs aériens. C’est un chercheur passionné. On dit qu’il connait tous les papillons de la Sarre. C’est l’homme qui danse avec les papillons. »
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