KERDALO VERS UNE NOUVELLE VIE

Les quotidiens bretons Ouest-France et le Télégramme ont annoncé il y a quelques jours que le jardin Kerdalo venait de changer de main. Ce lieu bien connu tout à fait exceptionnel installé sur la commune de Trédarzec, près de Tréguier (Côtes-d’Amor), avait fêté ses 50 ans en 2016 par une exposition de mes photos. Peter Wolkonsky avait acquis des hectares de terre dans un vallon riche en eau et avait installé à la place des bâtiments de ferme un manoir avec des éléments de récupération. Au décès de Peter Wolkonsky, sa fille Isabelle a poursuivi avec talent son oeuvre jusqu’à ce que Christian Louboutin, personnalité du design de la chaussure, la rachète. Que les amateurs de jardins se rassurent puisque Christian Louboutin, lui-même expert dans l’art des jardins, assure que Kerdalo restera ouvert à la visite. Voir liens ci-dessous pour conditions d’accès.

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Peter Wolkonsky en juillet 1983. J’ai fréquenté Kerdalo à de nombreuses occasions en  tant que reporter-photographe spécialisé jardin. En raison de sa taille imposante, de l’énergie et du talent déployés par son créateur, chaque visite apportaient bien des satisfactions. Et beaucoup de photos ! C’est à Kerdalo que j’ai découvert le charme des Raphiolepis étalant leurs tiges sur les calades de la terrasse et la puissance des céanothes pour couvrir de leurs belles couleurs bleues les murs en pierre du manoir. Voir la photo ci-dessous.

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A l’occasion de la publication du livre « Kerdalo un jardin d’exception » par La Maison Rustique, le magazine « Mon Jardin & Ma Maison »  m’a proposé en Février 1997 huit pages pour publier un reportage sur ce lieu déjà exceptionnel à l’époque. Les voici avec une reprise partielle du texte.

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L’oeuvre patiente d’un artiste. Peter Wolkonsky est né à Saint-Petersbourg avec le siècle. Les vicissitudes de l’histoire ont conduit sa famille, après bien des voyages, à s’installer à Saint-Cloud, près de Paris. C’est là qu’il se prend de passion pour le jardinage et qu’il va le pratiquer pendant plus de vingt ans. Parallèlement, à l’image de sa mère qui va souvent peindre en Italie et qu’il accompagne parfois, il montre des dispositions pour la peinture. Il s’inscrit alors à l’école des Beaux-Arts, à Paris, en 1925. Vers 1960, en vacances à Bénodet, il découvre la Bretagne. La pluie, les chemins creux, les fougères, l’image d’une végétation heureuse, foisonnante et mystérieuse, lui font aimer ces terres moitié rurales, moitié marines. C’est décidé, c’est là qu’il veut vivre, c’est là qu’il veut créer un nouveau jardin.

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La tournée des notaires commence en Bretagne du Nord dont il sait la douceur hivernale, du fait de l’influence du Gulf-Stream, et parce que les terres moins morcelées lui offrent plus de chances de trouver les quinze hectares d’un seul tenant qu’il désire.

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Il trouve son bonheur à Trédarzec, près de Tréguier. La maison est modeste, mais la terre fertile, humide à souhait (sources, ruisseaux), avec de beaux arbres (hêtres, chênes), et une pente qui donne des promesses de vues futures. Pendant que sa cousine Hélène d’Andlau s’occupe des plans d’aménagement de l’intérieur, Peter Wolkonsky court la campagne en quête de matériaux anciens : porches d’entrée, lucarnes, jambages de portes… Le reste de l’histoire, on le trouvera dans le livre.

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La lande jaune. De la terrasse de la maison, une sorte de conque en pente raide apparait au regard. Elle était à l’origine couronnée d’un petit bois. Quelques pommiers subsistaient avec des genêts, très beaux à la floraison par leur ruissellement jaune. Cette image donna à Peter l’idée de planter là un grand groupe de conifères et d’espèces persistantes, en jouant sur le mélange des formes érigées et souples et sur les couleurs pour retrouver ce ton jaune en permanence. Prédominent les ifs d’Irlande verts et dorés, Pittosporum tenuifolium argentés et dorés, Cornus alba ‘Sibirica’. Lors de ma dernière visite en 2016, le gentil bosquet était devenu un « monument pictural ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

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http://www.lesjardinsdekerdalo.com/

https://www.ouest-france.fr/bretagne/tredarzec-22220/rencontre-christian-louboutin-son-coup-de-coeur-pour-les-jardins-de-kerdalo-en-bretagne-f4f2170a-b4d7-11eb-ac24-27678a9eb011

https://www.letelegramme.fr/soir/christian-louboutin-a-trouve-chaussure-a-son-pied-aux-jardins-de-kerdalo-17-05-2021-12751386.php

les photos de l’exposition de 2016 :  http://georgeslevequejardins.com/kerdalo/
photos faites entre 1972 et 2015.

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APPRENDRE LA VANNERIE PAS A PAS

Ce sera un vrai bonheur d’ouvrir le nouveau livre des Editions Ulmer qui viennent de donner carte blanche à Christelle Bonnal pour nous permettre de découvrir « La vannerie avec des plantes sauvages ». Car la vannerie sauvage séduit de plus en plus d’adeptes sensibles à la nature. Il suffit d’utiliser les végétaux qui poussent spontanément ici et là, connaître quelques techniques et laisser sa créativité s’exprimer pour transformer le végétal en objets utiles et beaux. Christelle Bonnal s’est intéressée à cet exercice après des études de botanique et d’histoire des jardins. Elle livre ainsi son savoir et ses gestes, qu’elle a transcrits en 400 photos. Elle explique !

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Alors que la vannerie traditionnelle se pratique essentiellement avec de l’osier, provenant des tiges de différents saules (Salix), il est possible d’utiliser beaucoup d’autres plantes qui sont à la disposition de chacun dans la nature. Dans son introduction, Christelle Bonnal dresse la liste des principales espèces qu’elle apprécie. « Dans les haies ou en forêts, on trouve le noisetier (Corylus avellana) et le châtaignier (Castanea sativa) qui fournissent des troncs et rejets qui serviront d’armatures pour la confection de paniers, les tiges de la ronce des bois (Rubus fruticosus) et de la ronce à feuilles d’orme (Rubus ulmifolius) qui serviront de liens solides. Au bord des étangs pousse la bourdaine (Frangula alnus). Les paysages des zones humides voient affleurer les tiges du jonc diffus (Juncus effusus) et celles du jonc aggloméré (Juncus conglomeratus), les feuilles de la massette à larges feuilles (Typha latifolia) et celles de la massette à feuilles étroites (Typha angustifolia) avec lesquelles on confectionnera chapeaux, besaces… et les feuilles de l’iris des marais (Iris pseudacorus) qui serviront à fabriquer des cordelettes. »

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Les techniques de vannerie sont très variées car elles mettent en oeuvre différents procédés. On commence la fabrication d’un panier, par exemple, selon l’aspect qu’on voudra lui donner. Un panier à montants droits requerra de confectionner tout d’abord un fond à montants croisés. Il en ira différemment pour un panier sur arceaux dont les montants ne sont plus droits mais courbés. Pour lui, il faudra maîtriser les techniques de ligature en nouant les deux premiers éléments de l’armature (bordure haute de l’anse). Le végétal qui servira à ligaturer devra être confectionné par avance pour pouvoir être à disposition dès que le besoin l’exigera. Le livre est ainsi fait. On avance pas à pas, au gré des découvertes des végétaux, des techniques, du matériel nécessaire et bien sûr sur les façons de lier, de tresser, de réunir et de découvrir des formes quelquefois inattendues.

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Si le livre de Christelle est une mine de photographies qui détaillent chaque geste, c’est en même temps un recueil de poésie des mots. Car la terminologie du vannier s’avère être d’une richesse incroyable. On découvre ainsi que « l’oeil de Dieu » sert à maintenir ensemble deux éléments perpendiculairement. La « ligature bouclée » sert à attacher des rameaux ou des tiges disposés dans le même sens. Le tressage « dessus-dessous » permet de passer un brin successivement sur un montant puis sous le montant suivant. C’est avec lui qu’on peut faire des paniers sur arceaux. Outre les tressages conventionnels, on découvre que fabriquer une cordelette en ortie n’est pas difficile, pas plus que sa cousine en jonc. Quant aux paniers, Christelle propose des tutoriels avec des formes et des usages différents. Et même des mangeoires à oiseaux. Sans oublier les pots à crayons. Une fois qu’on est plongé dans l’ouvrage, on a du mal à s’en défaire… et l’on rêve de partir sur les chemins du bocage pour tenter l’aventure de la création.

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http://www.editions-ulmer.fr/editions-ulmer/la-vannerie-avec-des-plantes-sauvages-784-cl.htm  24,90 euros / Mai 2021

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BRILLANT HOMMAGE AU JARDIN DE GIVERNY

Claude Monet a vécu de 1883 à 1926 dans sa maison de Giverny. Passionné par le jardinage autant que par les couleurs, il a conçu son jardin de fleurs et son jardin d’eau comme de véritables oeuvres picturales. Les visiteurs ressentent toujours l’atmosphère qui régnait chez le maître de l’impressionnisme et s’émerveillent devant les compositions fleuries du jardin, comme devant les nymphéas de l’étang, qui ont été ses sources d’inspiration les plus fécondes. Après plus de 40 ans d’ouverture au public (juin1980), le jardin de Claude Monet attire chaque année quelques 500.000 touristes et amateurs de jardin. La saison 2021 débutera le 19 mai et présentera à cette occasion un livre de souvenirs mis en forme par Gilbert Vahé, jardinier chef qui a suivi la restauration des lieux depuis 1976. Un document tout à fait exceptionnel !

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Disparu le 3 février 1966, Michel Monet, fils du peintre, lègue la propriété de Giverny et les collections qu’elle recèle à l’Académie des Beaux Arts. Conservateur du musée Marmottan, Jacques Carlu pare au plus pressé et ordonne l’exécution des premiers travaux d’urgence, dont la réfection de la toiture. Mais les fonds manquent. Irrémédiablement, la vétusté grignote les bâtiments tandis que les jardins s’étiolent dans une profonde désolation. Tout bascule en 1974 lorsque l’Académie des Beaux Arts confie à Gérald Van der Kemp, qui vient de restaurer le château de Versailles, le sauvetage de Giverny. Grâce aux capitaux collectés auprès de mécènes américains, mais aussi aux budgets alloués par l’Académie des Beaux-Arts et le Conseil général de l’Eure, des travaux titanesques sont entrepris dès 1976. Et c’est Gilbert Vahé, un jeune jardinier diplômé de l’Ecole d’Horticulture de Versailles, qui accompagne «VDK» dans cette renaissance.

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Les auteurs du livre ont retrouvé l’histoire de la toile « Le Jardin de l’artiste à Giverny », 1900, exposée au musée d’Orsay. D’un voyage en Italie, à Bordighera en 1884, il découvre dans les jardins Moreno une scène qui le transporte. Voici ce qu’il en écrit poétiquement dans un courrier « les orangers et les citronniers et, en place de l’herbe, des violettes de Parme. »  Georges Truffaut, un célèbre pépiniériste de l’époque et visiteur régulier du peintre, remarque que Monet utilise une autre plante à fleurs bleues assez rare, le Plumbago larpentae, libérant en tapis d’immenses masses de fleurs évoluant dans différentes totalités de bleu. Les images qui suivent sont extraites du livre dont on feuillette les pages comme un jeu de piste.

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Les jardins ont accompagné Claude Monet tout au long de sa vie. Dans son oeuvre de jeunesse, ils sont souvent une partie du paysage. Ils deviendront une alternative à celui-ci, un univers certes restreint, mais où les jeux de lumière n’ont rien à envier à ceux des sites les plus grandioses. Georges Clémenceau, complice de cette dévorante passion horticole, voyait dans le jardin de Giverny le prolongement de son atelier. Avant Giverny, il y avait eu Vétheuil dont la toile ci-dessus témoigne : Le jardin de l’artiste à Vétheuil, 1881, The National Gallery of Art, Washington. Dans ce décor, où les silhouettes de Camille, Jean et Michel disparaissent presque sous les immenses tournesols, apparaissent les fameux pots bleus rapportés de Hollande qui suivront Monet à Giverny.

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Lorsque Gerald Van der Kemp accepte la mission de ressusciter l’univers de Claude Monet à Giverny, en 1974, il lui faut encore trouver le partenaire idéal qui saura diriger les jardiniers, tout à la fois technicien du jardin mais aussi assez poète pour comprendre la sensibilité du peintre qui a fait ici l’atelier de l’impressionnisme. Hasard ou nécessité, c’est de Versailles que viendra la chance comme l’expliquent en détail Valérie Bougault et Nicole Boschung qui ont trouvé les mots du livre. Gilbert Vahé est un ancien chef d’atelier de l’Ecole nationale d’horticulture, rattachée au Potager du roi à Versailles. On découvre par le détail les mots de VDK qui ont su convaincre le jeune homme de s’amarrer au projet.

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Remettre en état le jardin de Claude Monet et lui redonner sa splendeur d’antan était une bonne chose. Mais cela réclamait des fonds importants que ni la commune, ni le département ne pouvaient assumer seuls. D’autres viendraient de différents ministères. VDK savait où adresser ses demandes. Gilbert Vahé, aujourd’hui encore, ressent une admiration sans bornes pour son savoir-faire. Bien avant tout le monde, il n’a pas hésité à mêler art et marketing en mettant la peinture de Monet sur le devant de la scène. Les échanges de courrier avec son complice Daniel Wildenstein, son antenne new-yorkaise, ne laissent place à aucune ambiguïté. Il s’agissait d’encourager Philippe de Montebello, sur le point d’être nommé directeur du Metropolitan Museum, à mettre en place un événement Monet pour inaugurer ses nouvelles fonctions. Voir affiche ci-dessus.

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Photo récente de l’allée fleurie du Clos normand. Les clématites montana retombant des treilles en cascades semblent être une reproduction à l’identique de celles décrites par Georges Truffaut, fournisseur attitré de Claude Monet, lors d’une visite effectuée à Giverny au printemps 1924 comme « des guirlandes aériennes faisant l’effet de draperies de dentelles ». En plus d’être un pépiniériste célébré de l’époque, il relate ses découvertes dans la revue Jardinage dont il est le fondateur.

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Autre photo récente de la maison de la Fondation Claude Monet. A partir de la mi-mai, les Pelargonium zonale ‘Avenida’ font leur entrée dans les massifs circulaires devant la maison. Comme au temps de Monet, à l’origine de cette association, les pélargoniums roses et rouges cohabitent. Gilbert Vahé ajoute : « Nous avons la preuve que Monet mélangeait bien le rouge et le rose au mépris des conventions de l’époque. Ce faisant, il crée une mode et nous ne sommes plus choqués par cet ensemble. Jusqu’à présent, nous mettions moitié rouge, moitié rose. La tendance de nos jours serait de planter deux pélargoniums roses pour un rouge. Et essayer que la hauteur des rouges ne dépassent pas celle des roses. Une question d’équilibre qui se négocie chaque année !

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Ci-dessus, une photo de René Delange « Claude Monet », parue dans l’Illustration du 15 janvier 1927, pages 54 & 55. Cet autochrome de 1921 est probablement la photographie la plus connue de Giverny : Monet, chapeau sur la tête et cigarette à la main, se tient entre deux massifs situés à l’ouest, en haut de la grande pelouse, dont l’un est composé du fameux mélange de pélargoniums roses et rouges.

Ci-dessous : Le pont japonais. Une photo d’avril 2011. Sous l’arche de la glycine en fleur, mariage de l’ancienne glycine plantée par Monet et d’un pied plus récent, se devinent les ramures rose violine d’un arbre de Judée et d’un Cornus florida ‘Rubra’.

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http://www.gourcuff-gradenigo.com/paru.html   39 euros
https://fondation-monet.com/actualites/gilbert-vahe-ce-livre-est-un-travail-de-memoire/

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