ÉGRATIGNURES : DRÔLE ET ÉRUDIT D’UN BOUT À L’AUTRE

Après avoir superbement réussi son livre précédent « Chers Jardins » en 2019 chez le même éditeur, Patrick Masure reprend la plume chez Delachaux et Niestlé pour « Egratignures », un recueil d’anecdotes malicieuses inspirées des jardiniers et de leurs jardins. Drôle et érudit de bout en bout, ce sont sept essais piquants tour à tour pastiche littéraire, aperçus historiques et autres espiègleries destinés à amuser autant qu’instruire. Faisant cela, il « égratigne » les amateurs et les professionnels du jardin… dont il fait assurément partie.

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Avant de découvrir ses talents de plume, il peut être utile de connaître les raisons qui ont conduit Patrick Masure à l’Art des Jardins. Deux des liens en fin d’article le sont à cet effet. Son épouse et lui sont arrivés au Manoir de la Javelière en 1992 et, en 2006, ont été lauréats du Grand Prix VMF-Fondation du Patrimoine. La restauration du bâti et la création des jardins sont allées de pair. Visite possible des jardins, voir site internet : www.lajaveliere.fr

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Nouvelles lettres persanes. J’ai choisi d’évoquer ici la lettre CLXIV car elle mentionne une situation connue du plus grand nombre d’amateurs de jardins de nos régions. La voici donc ! « Je fus, hier, au Vasterival. C’est un lieu admirable. J’aimerais autant avoir fait ce jardin, si j’étais prince, que d’avoir gagné trois batailles. Je crois que c’est le lieu le plus admirable de la Terre. Une certaine princesse régnait naguère sur cet Etat fort menu, perdu dans les lointaines et pluvieuses provinces de l’Ouest. Il y a plus de plantes rares en son jardin, et des plus belles, que de citoyens dans une grande ville. Je te jure par les cent mille prophètes que je n’ai rien vu de plus accompli que le parc de cette princesse. J’entends ici que beaucoup de propriétaires de jardins se flattent de tenir de cette auguste personne l’art d’étaler la crotte de bique dans leurs carrés, ou de manier la bêche ou le râteau. Il est des plus distingué en ces assemblées de claironner ‘la princesse me disait que…’ ou ‘comme me l’a enseigné la princesse….’ . Cher Usbek, je sais ton horreur du mensonge, mais sache que si tu veux jouir de quelque considération dans l’une de ces assemblées, il te faut affirmer que tu tiens de ladite princesse, dont tu fus l’intime, l’art subtil de répandre le crottin de chameau au pied des rosiers…….. » .

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Jardiner avec la lune. Plusieurs pages sont consacrées à l’incidence supposée de la lune sur les cultures et leurs rendements. Manifestement l’auteur n’adhère pas aux théories exposées par ses promoteurs et, en particulier, à celles de Rudolf Steiner qui établit les bases d’une science nouvelle, la biodynamie. Il explique ses réticences avec force documentation. Le sujet retrouve de la légèreté lorsque Patrick Masure cite Alphonse Allais : « La lune est pleine, on ne sait pas qui l’a mise dans cet état » .

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Un jardin très « tendance » et (Fl)âneries dans les catalogues. Charles Baudelaire avait amorcé la fronde en écrivant : « Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire ». Patrick Masure s’engouffre dans la brèche en collectant quelques formules remarquées dans la presse et les catalogue du jardin. C’est ainsi qu’il s’estime orienté à faire de son jardin un coin de floralies, avec une profusion de fleurs jamais vues dans la Nature, des myriades de celles-ci en jardinières, en suspensions, ou plantées dans des brouettes. On le pousse par ailleurs à étonner ses amis avec des roses striées ou cet ail géant dont la fleur est aussi grosse que la tête du gamin qui pose à ses côtés pour en assurer la promotion. Sans oublier les plantes « incontournables » venues de contrées lointaines dont il est dit qu’elles suscitent des passions. La liste des « âneries » parait sans fin.

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Les rosiers du Grand Siècle et leur éclosion dans les livres. L’Ode à Cassandre composée par Pierre de Ronsard en 1545 semble avoir donné le départ à la littérature consacrée aux rosiers. Puis en 1694 parait le Dictionnaire de l’Académie française. Voici la définition de la rose : « Sorte de fleur odoriférante d’un beau rouge un peu pâle, et qui croît sur un arbrisseau plein de petites épines ». Après avoir été réservées à l’élite qui seule à les moyens de cultiver les plantes décoratives, le XIX° siècle devient le temps de la profusion dans le commerce des rosiers. Et en l’absence de photographies flatteuses pour promouvoir les nouveautés, l’époque n’est pas avare de vantardises. C’est ainsi qu’on voit fleurir des appellations sans doute exagérées : ‘Assemblage de beautés’, Beauté incomparable’, ‘Oeillet parfait’, ‘Toujours fleuri’, ‘Gloire de Ducher’ ou ‘Gloire des Rosomanes’. Les pages consacrées aux roses et aux rosiers sont très bien fournies puisque, rappelons-le, Patrick Masure est un expert sur le sujet.

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https://www.delachauxetniestle.com/livre/egratignures   17,90 euros
En librairie depuis le 25 mars 2021.

https://www.jardins-de-france.com/sites/default/files/public/45-inventaire_javeliere.pdf

http://www.lajaveliere.fr/comment-visiter/

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