SAUVER NOS CAMPAGNES AVEC ELISABETH TROTIGNON

Elisabeth Trotignon, botaniste titulaire d’un diplôme en aménagement rural, a longtemps été chargée de mission environnement et paysage au département de l’Indre. Elle est familière de la campagne du Berry, son principal sujet d’études. Si l’on ajoute qu’elle est fille d’agriculteur, on comprend bien son attachement quasi-viscéral aux métiers de la terre, aux paysages ruraux et à leur devenir. Elle signe chez L’éditeur Nature Delachaux et Niestlé un bel ouvrage riche de photos attachantes « Il faut sauver nos campagnes ». Elle y évoque l’uniformisation des paysages, les pollutions agricoles, les attaques contre la biodiversité et les remèdes à apporter. C’est un livre plein de poésie et de réflexion qui doit convenir à un large public sensible au temps qui passe et aux risques encourus.

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Un nouveau regard sur la campagne. La campagne, depuis peu, a changé de visage. Profondément ! Longtemps cantonnée dans son mandat de production agricole et artisanale, elle retient aujourd’hui le regard du citadin qui semble la découvrir et lui attribue les qualités qu’il ne trouve plus en ville, entre barres d’immeubles, trottoirs et voitures omniprésentes. Le citadin a changé d’avis et semble préférer un cadre de vie apaisant, la nature, les beaux paysages, l’air pur et la respiration, une architecture simple et solide et une nourriture supposée de qualité. Après les pluies froides de l’hiver, lorsque déboule le soleil printanier, un même public fatigué rend grâce à ce que la campagne peut lui apporter et court vers l’herbe verte.

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En Luberon, le village perché est ancien. Au Moyen Age, il accompagne un château qui, depuis sa hauteur, guette et voit de loin l’arrivée d’un possible ennemi. Puis il s’est densifié, fort de nouveaux habitants tels les commerçants, les artisans, ou encore les paysans dont les maisons longeaient les ruelles étroites. Sur les pentes puis dans la vallée s’étendent vignes et jardins, champs cultivés et prairies. Au-delà, c’est le bois et la lande. Ailleurs, c’est autre chose qui s’opère en fonction du climat, de la nature du sol et des habitudes paysannes. Dans l’Indre, une multitude de petites parcelles bigarrées couvrent plateaux limoneux et pentes douces. Elles sont de trèfle carmin et de luzerne mauve, de blé et d’orge blonde, travaillées par de petits exploitants agricoles. Le Périgord a ses noyers, la Normandie ses pommiers, le Limousin ses châtaignes. Jusqu’à ce que la modernité ne le déboulonne, après 1950, ce contexte tient à peu près. Le paysan a une profonde intuition. Ni architecte, ni paysagiste, il est simplement pragmatique.

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A partir des années 50, l’exploitation agricole change de cap. Quelle rentabilité y a-t-il à labourer des champs étroits, à semer des fourrages, à garder cinq vaches pour le lait, dix moutons pour la laine et le gigot, un porc pour le boudin et quelques lapins au clapier ? Les récoltes sont souvent maigres, le travail toujours énorme et les gains dérisoires. Mécanisation, chimie, remembrement, conseillers techniques prêts à faire évoluer les usages et le paysage se trouve vite modifié. Elisabeth Trotignon emploie les mots justes pour expliquer les bouleversements qui suivent. Fort heureusement, des parcelles considérées impropres à une culture rentable se gardent le droit de recueillir des plantes sauvages qui sont à la fois décoratives et utiles à la biodiversité. On doit admirer sur des terres très humides, comme le long des ruisseaux, de telles populations. Et lorsqu’on se trouve, comme ici, en présence d’une population de lychnis à fleur de coucou (Lychnis flos-cuculi), il faut tout faire pour pérenniser la scène.

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Biodiversité, entre moins et plus. Elisabeth Trotignon évoque la biodiversité, un mot largement utilisé depuis une vingtaine d’années pour témoigner de la croissance gênante de certaines espèces et la régression navrante d’autres. En une phrase elle dresse un bilan : « Du longiligne ver de terre à la couleur vipérine, du coquelicot à l’orchidée, de l’araignée au papillon, du moineau friquet à l’outarde canepetière, le monde vivant régresse à toute allure. » Sur une dizaine de pages, elle dresse un bilan bien documenté et cède au plaisir d’illustrer sur une page entière l’encombrante jussie. A cette belle espèce à fleurs jaunes, on a fait les yeux doux à la fin deux XIX° siècle quand on l’importe d’Amérique du Nord pour décorer les bassins des parcs de châteaux, de maisons bourgeoises. Restée « tranquille » pendant plus d’un siècle, elle s’est brutalement mise à essaimer partout où il y avait de l’eau, des bords de rivières aux étangs, au point de devenir « envahissante ». Photo de Jacques Trotignon, dans la Brenne. Voir lien en bas de page pour découvrir l’espèce Ludwigia grandiflora, nom scientifique de la grande jussie : http://especes-exotiques-envahissantes.fr/espece/ludwigia-grandiflora/

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Dans son chapitre « Villes et campagne » Elisabeth Trotignon évoque les « Les campagnes gentrifiées » pour évoquer les actions des nouveaux habitants dans quelques régions proches des grandes métropoles ou des lieux touristiques. Elle évoque Luberon, Perche, Vallée de Chevreuse, Puisaye et Vexin français. Le nouvel habitant y organise la campagne à sa manière et, insidieusement, y infuse ses propres rythmes, modes et habitudes. Il veut se fondre dans ce paysage acheté, le modeler à sa convenance et signaler qu’il n’appartient qu’à lui avec des mentions posées en évidence façon « propriété privée » ou « site sous video-surveillance ». Dans certains parcs naturels régionaux, ce glissement est patent. Il répond à une philosophie qui entend protéger les milieux naturels en lien avec l’économie, qui évoque des « territoires de projets » sertis dans un principe de « développement durable » mis à toutes les sauces. Parmi elles, il en est d’excellentes qu’on rencontre dans les régions d’étangs (Sologne, Dombes, Lorraine, Brenne…) et qui attirent les amoureux de la nature. Munis de jumelles, les uns aiment simplement observer les oiseaux d’eau; d’autres, ornithologues, y font régulièrement des inventaires. Grâce à eux, on sait que l’avifaune de ces milieux est, hélas, en nette régression !

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Pour terminer son ouvrage dans l’espoir d’un monde meilleur, l’autrice Elisabeth Trotignon compile les solutions du naturel. Ses espoirs sont immenses pour trouver matière utile afin d’en remplir 40 pages. Elle en appelle aux Néo-paysans, aux paysans de la nature et renseigne sur les conditions pour obtenir « la dotation jeune agriculteur (DJA) » . Pour les nouveaux-venus à l’agriculture et l’élevage, ce n’est pas l’assurance d’un long fleuve tranquille. Mais ses propos sont pleins de sagesse, de bon sens et d’humour, comme en témoigne la photo de cette éleveuse de moutons qui permet de conserver le paysage ouvert, évitant ainsi qu’il n’aille à la friche.

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https://www.delachauxetniestle.com/livre/il-faut-sauver-nos-campagnes
29,90 euros, parution 23 septembre 2021

http://especes-exotiques-envahissantes.fr/espece/ludwigia-grandiflora/