Patrick Masure vient d’ouvrir un champ de réflexion ! Dans son dernier livre « Chers Jardins, quand la passion mène à la ruine » il adopte un ton ironique pour expliquer, dix exemples à l’appui, combien il est facile de se ruiner quand on pousse au delà du raisonnable l’art des jardins et les collections de plantes. L’auteur précise dans son introduction qu’il sait de quoi il parle puisque lui même, en Loiret, entretient une impressionnante collection de roses anciennes mise en scène autour d’un étang aux eaux turquoises. Les Editions Delachaux et Niestlé ont fourni une iconographe bien à la mesure du projet : riche, généreuse et très bien faite. Parution octobre 2019. Voici quelques pages tirées du livre accompagnées de tout ou partie des écrits de Patrick Masure.
Vincenzo Martinelli, Paysage avec pont rustique. Un siècle après Salvator Rosa,le peintre bolonais Vincenzo Martinelli (1737-1807) exécute un paysage où se retrouvent les mêmes composants scénographiques, dans une atmosphère moins dramatique. La disposition du pont et des matériaux dont il est construit ne sont pas sans rappeler le pont rustique de Méréville peint par Hubert Robert. S’il est possible, mais coûteux, de réaliser de tels ponts dans un jardin pittoresque, aucun vieux chêne ne résisterait bien longtemps dans la position de celui qui figure au milieu du tableau.
Pont chinois, Apremont-sur-Allier. Gilles de Brissac, jardinier-paysagiste et propriétaire des lieux, créa un jardin floral au pied du château d’Apremont en confiant la réalisation des fabriques à Alexandre Serebriakoff (1907-1994), peintre et décorateur né en Russie, à qui l’on doit ce pont-pagode récemment restauré.
L’ananas du parc de Dunmore, Ecosse. L’ananas du parc de Dunmore est l’une des folies les plus bizarres jamais construites. Réalisé en 1761 ou en 1776 selon les auteurs, pour John Murray, 4ème comte de Dunmore, le pavillon octogonal surmonte un portique purement palladien. Le dôme, haut de 14 mètres, en forme d’ananas, est très finement sculpté. Les amateurs apprendront qu’il est possible de louer ce pavillon au National Trust for Scotland et d’y passer une nuit.
La Vente des oignons de tulipe (XVII°siècle), musée des Beaux-Arts, Rennes. Pour illustrer les spéculations qui ont eu lieu en Hollande sur les bulbes de tulipe et nommées par la suite « Tulipomania », beaucoup de peintres du XVII° siècle ont travaillé le thème. Satirique et documentaire, ce tableau anonyme détaille la manière dont s’opère le commerce des bulbes, qui s’apparente à celui de l’or et des pierres précieuses. Ici, l’acquéreur est un fou, comme l’indique son costume. Il brandit fièrement son acquisition, une ‘Semper Augustus’ ou une ‘Viceroy’. Le prix à payer est déposé sur la table dans une bourse bien garnie. Le changeur pèse soigneusement chaque bulbe avec un trébuchet. Le peintre souligne un autre contraste, le spéculateur maigre et tendu, le changeur assis, tranquille et gras.
Stourhead, le pont palladien. La parenté de style se manifeste avec évidence entre cette vue du pont palladien de Stourhead et la vue du pont de Painshill Park présenté dans le même chapitre « se ruiner à l’anglaise avec Charles Hamilton », celui-ci étant un des précurseurs d’un mouvement naturaliste qui démarre avec des paysagistes tels William Kent et Capability Brown. Henry Hoare créateur de Stourhead est infiniment plus riche qu’Hamilton, alors les proportions ne sont plus les mêmes. Le lac de Stourhead est sensiblement plus étendu et les fabriques sont plus imposantes. Il semble évident que les deux amis depuis l’époque du collège avaient puisé leur inspiration aux mêmes sources.
Les topiaires du château de Champ-de-Bataille, par Jacques Garcia propriétaire du domaine. Cet impressionnant alignement de lions montant la garde démontre une parfaite maitrise de l’art topiaire. L’observateur curieux (et critique) pourra s’étonner que cette allée, si majestueusement encadrée par ce dispositif, ne soit en fait qu’un simple cul-de-sac.
Champ-de-Bataille, dentelles de buis. Emergeant de la brume matinale, les dentelles de buis bordent l’axe principal conduisant au bassin rond; plus loin, le grand canal est encore enveloppé dans le brouillard. Fort sagement, à proximité immédiate du château, le décor respecte les canons de l’art des jardins du Grand Siècle. La fantaisie se manifeste progressivement, à mesure que l’on s’éloigne. Quelques mots encore empruntés à Patrick Masure pour justifier la présence de ce domaine au faîte de sa gloire et de sa beauté : « Jacques Garcia, à qui je faisais part il y a quelque temps d’un projet de conférence sur Comment se ruiner au jardin, me répondit, très pince-sans-rire : Vous devriez parler de moi. Précisons d’emblée que, selon toute apparence, Jacques Garcia ne s’est pas ruiné avec le château et ses jardins, du moins pas encore. »
www.delachauxetniestle.com Chers Jardins, quand la passion mène à la ruine, 32 euros.
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